L’intergénérationnel est souvent présenté comme un incontournable dans les services, les loisirs et même l’habitat dédié aux seniors. L’idée repose sur un postulat simple : les seniors ne veulent pas être uniquement entre eux. Mais ce constat, bien que vérifié par de nombreuses études, est souvent mal interprété. Ce n’est pas parce que les seniors ne veulent pas être exclusivement entourés de personnes de leur âge qu’ils aspirent nécessairement à un mode de vie totalement intergénérationnel. Décryptons cette réalité essentielle pour tous les acteurs du marché des seniors.
Une nuance fondamentale : ne pas être entre seniors ne signifie pas vouloir l’intergénérationnel
Lorsqu’on interroge les seniors, une majorité affirme ne pas souhaiter vivre uniquement entre personnes âgées. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils veulent un cadre de vie intergénérationnel permanent. Ce qu’ils recherchent avant tout, c’est la possibilité d’évoluer dans un environnement diversifié, tout en ayant des espaces et des moments où ils peuvent se retrouver entre eux.
Aux États-Unis, de nouvelles formes d’habitat pour seniors émergent : des villages ouverts aux autres générations, mais avec des espaces réservés exclusivement aux seniors. Ce modèle illustre bien cette demande paradoxale : ne pas être obligatoirement entre seniors, tout en ayant la possibilité de se retrouver entre personnes de la même génération lorsqu’ils le souhaitent.
Un intergénérationnel souvent indirect : le cas des petits-enfants
Une étude récente menée à La Réunion en partenariat avec la Chambre de Commerce et d’Industrie révèle un constat frappant : les seniors expriment une forte envie de fréquenter des lieux où ils peuvent emmener leurs petits-enfants, comme des parcs d’attractions. Mais l’objectif principal n’est pas de rencontrer des jeunes générations. Il s’agit en réalité d’un prétexte pour croiser d’autres seniors partageant la même situation familiale.
Cet exemple montre que l’intergénérationnel est souvent vécu à travers des relations familiales, plutôt qu’à travers des interactions sociales ouvertes à des inconnus d’autres générations.
Une perception ambivalente des jeunes générations
Les seniors d’aujourd’hui ont une vision contrastée des jeunes générations. Beaucoup reconnaissent les difficultés qu’elles rencontrent, notamment en matière d’accès à l’emploi ou au logement. Ils comprennent que le contexte actuel est plus difficile que celui qu’ils ont connu.
Cependant, cette compréhension cohabite avec des craintes. Prenons l’exemple de la cohabitation intergénérationnelle : si beaucoup de seniors trouvent l’idée intéressante sur le principe, très peu sont prêts à accueillir un jeune chez eux. Lorsqu’on leur pose directement la question, l’immense majorité exprime des réticences.
Pourquoi ? Parce que les seniors perçoivent les jeunes comme ayant des valeurs et des comportements très éloignés des leurs. Cette distance culturelle et générationnelle est un frein majeur à un intergénérationnel forcé.
Un intergénérationnel réussi repose sur le choix et la flexibilité
Les seniors sont davantage enclins à participer à des initiatives intergénérationnelles lorsqu’elles sont encadrées et qu’ils ont la possibilité de se rétracter à tout moment. Des services où les générations se croisent sans être obligées d’interagir intensément trouvent un bien meilleur accueil qu’une cohabitation contrainte.
L’exemple d’une résidence seniors à Berlin illustre bien cette dynamique. Pour éviter que les résidents aient l’impression d’être dans un ghetto de personnes âgées, l’établissement a mis en place des locations d’appartements de courte durée pour des touristes. Ce dispositif permet aux seniors de voir des visages plus jeunes sans pour autant bouleverser leur quotidien.
L’intragénérationnel reste la demande majoritaire
Si une minorité de seniors apprécie pleinement l’intergénérationnel, la grande majorité préfère l’intragénérationnel, à condition qu’il ne soit pas vécu comme un enfermement.
Pourquoi ? Parce qu’ils estiment que les jeunes générations ont des valeurs trop éloignées des leurs. Ils ne pensent pas pouvoir partager des moments intimes ou des discussions profondes avec des jeunes, contrairement à ce qu’ils peuvent faire avec des personnes de leur propre âge, qui ont connu les mêmes périodes de vie et les mêmes défis.
L’enjeu pour les entreprises et les acteurs du marché des seniors est donc de proposer des offres qui ne tombent pas dans le piège du « ghetto senior », tout en respectant cette forte demande d’appartenance générationnelle.
Conclusion : Un intergénérationnel adapté, pas imposé
L’intergénérationnel n’est pas une solution universelle pour répondre aux attentes des seniors. Ce qu’ils veulent avant tout, c’est le choix : pouvoir naviguer entre des environnements mixtes et des moments de partage entre pairs.
Pour les professionnels du secteur, cela signifie :
- Proposer des lieux et services où l’intergénérationnel est une option, pas une obligation.
- Intégrer des interactions intergénérationnelles indirectes, notamment via la famille et les petits-enfants.
- Comprendre que l’aspiration majoritaire reste l’intragénérationnel non-ghettoïsant, où les seniors peuvent échanger librement entre eux sans se sentir isolés du reste de la société.
L’enjeu n’est donc pas de forcer l’intergénérationnel, mais d’en faire une possibilité parmi d’autres, dans un cadre rassurant et flexible. C’est à cette condition que ces initiatives trouveront un véritable écho auprès des seniors.
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