La difficile tâche d’initier la prévention chez les Seniors

La difficile tâche d'initier la prévention chez les jeunes seniors

Convaincre des personnes de 60 ou 70 ans qu’elles doivent déjà penser à leur santé future est une épreuve bien connue des professionnels de la prévention. Le terme « senior », souvent associé à la fragilité, est perçu par cette tranche d’âge comme une étiquette trop prématurée. Ils se sentent jeunes, actifs, et parfois même plus en forme qu’à 50 ans. Pourtant, c’est justement dans cette période que la prévention doit s’installer durablement. Mais comment initier ce dialogue sans provoquer un rejet instinctif ?

Sur le terrain : Le projet Fortiphy, une leçon de réalité

Imaginez-vous suivre un groupe de chercheurs dans une expérience à la fois simple et révélatrice. L’étude 2024 Fortiphy, menée au Royaume-Uni, en France et en Norvège, avait un objectif clair : encourager les jeunes seniors à enrichir leurs repas en protéines pour prévenir la dénutrition et la perte musculaire. Une évidence scientifique, mais une montagne culturelle à gravir.

Les chercheurs ont d’abord organisé des groupes de discussion avec des seniors et leurs aidants. Ces professionnels ont pris le temps de dialoguer, d’écouter et de sensibiliser. Ils ont expliqué, en toute transparence, l’importance des protéines pour préserver leur masse musculaire. Ensuite, des ateliers pratiques ont été organisés. Les seniors ont appris à cuisiner des recettes enrichies directement chez eux, encadrés par ces experts : soupe aux carottes, bolognaise, granola… Rien d’extravagant, des plats familiers, accessibles à tous.

Les premiers retours ? Enthousiastes. Les participants ont salué la simplicité des recettes, leur goût agréable et leur facilité de préparation. Le fait d’être encadrés par des chercheurs et des nutritionnistes, des figures d’autorité dans leur domaine, semblait être un gage de sérieux et de confiance. Pourtant, malgré cet encadrement et ces efforts pédagogiques, la réalité a été implacable.

Lorsque la question fatidique fut posée – « Continuerez-vous à enrichir vos repas après l’étude ? » – la réponse fut cinglante. Plus de 51 % des participants ont déclaré qu’ils ne voyaient pas l’utilité de poursuivre. Même en bénéficiant de l’accompagnement direct d’experts et de conseils personnalisés, les seniors ont préféré revenir à leurs habitudes alimentaires traditionnelles.

Un frein psychologique puissant : changer, c’est se remettre en cause

Derrière ce rejet, se cache une réalité souvent sous-estimée : changer ses habitudes alimentaires à un âge avancé implique une remise en question de ses comportements passés. Admettre qu’il est nécessaire d’enrichir son alimentation, c’est reconnaître que l’on n’a peut-être pas fait ce qu’il fallait jusqu’à présent. C’est une confrontation directe avec sa propre responsabilité en matière de santé, et pour beaucoup, cela représente une barrière psychologique difficile à franchir.

Un homme de 72 ans en France a résumé l’état d’esprit général : « Pour l’instant, je me sens bien. Peut-être que dans 10 ans, j’y penserai. » En Norvège, une participante a confié : « Je n’ai pas l’impression d’être concernée. C’est pour les personnes plus fragiles. » Ces témoignages révèlent une résistance à s’identifier comme « vieux » ou « fragile », et un refus de modifier ce qui est perçu comme des routines bien établies.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes :

  • France : 18,9 % des seniors ont répondu « Oui, très certainement » à la question de poursuivre l’enrichissement après l’étude. 60,4 % étaient globalement ouverts à poursuivre (en combinant « Oui, très certainement » et « Oui, probablement »). 39,6 % ne voyaient pas l’intérêt.
  • Norvège : Seuls 6,1 % ont déclaré « Oui, très certainement », tandis que 46,9 % ont exprimé une intention positive (incluant « Oui, probablement »). 53,1 % déclaraient qu’ils ne le feraient probablement pas.
  • Royaume-Uni : 7,8 % ont répondu « Oui, très certainement », et 39,2 % ont manifesté une ouverture (incluant « Oui, probablement »). 60,8 % ont rejeté l’idée de continuer.

Pourquoi ce rejet ?

Même face à des figures d’autorité – des chercheurs, des nutritionnistes et des cuisiniers professionnels – la majorité des seniors n’ont pas été convaincus de poursuivre ces habitudes bénéfiques. Cette défiance révèle une barrière psychologique forte. Les jeunes seniors n’ont souvent pas conscience de la réalité biologique du vieillissement. Ils se perçoivent en pleine possession de leurs moyens, et associent la prévention à une forme de renoncement à leur jeunesse. Le terme même de « prévention » est parfois vécu comme une menace implicite sur leur vitalité.

Conclusion : Transformer la prévention en opportunité

L’expérience Fortiphy est une piqûre de rappel pour les professionnels de la prévention : l’acceptabilité ne suffit pas à assurer l’adoption. Pour toucher ces jeunes seniors, il est essentiel de transformer le message. Au lieu de présenter l’enrichissement alimentaire comme une protection contre les pertes futures, pourquoi ne pas l’encadrer comme un moyen de renforcer leur énergie, leur mobilité et leur plaisir de manger aujourd’hui ?

L’enjeu n’est pas de forcer la main, mais de créer une dynamique positive, une invitation à prolonger la qualité de vie sans altérer cette sensation de jeunesse persistante. Car, au fond, la meilleure prévention est celle qui passe inaperçue.

Comment aller plus loin ?

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